Les Éditions de l'Aiguille sont heureuses de vous annoncer la sortie, à la collection essais, du recueil "Page à page" de Yoland Simon.
Extrait Page à page
ANNIE
ERNAUX
Les Années
Annie Ernaux nous
avait habitués à de brefs ouvrages, écrits sur l’os, au couteau, pour reprendre
une image dont elle usa naguère. Les
Années, son dernier livre, surprend à l’inverse par l’épaisseur d’un volume
au service d’un ample projet. Il s’agit ici de reconstituer une vie qui
traversa des événements autant qu’elle fut traversée par ceux-ci. Car nos
existences sont aujourd’hui si parfaitement imbriquées dans les tribulations
diverses du monde que l’on peine à démêler ce qui relève de notre histoire
personnelle et ce qui nous vient de la Grande Histoire. Comme nous, l’héroïne
du livre, dont l’auteur parle à la troisième personne, cherche sa voix et sa
voie dans un univers bavard et compliqué. Cependant, les diverses périodes de cet
itinéraire patiemment parcourues, dessinent des paysages contrastés et qui
évoluent au fil du temps. C’est d’abord le monde de l’après-guerre, tout en
privations mais aussi en petits bonheurs dorlotés, en quête d’un confort dont
on se prend à rêver avec les réclames de Radio Luxembourg et les miraculeuses
inventions des arts ménagers. Une époque encore très corsetée par des
règlements, des principes, le regard des
vieilles derrière leurs rideaux, eût dit Aznavour. Mais bientôt, on passe à
l’adolescence avec son mélange de franchise et d’hypocrisie, de révoltes et de
soumissions, d’affirmations de soi, de reniements d’un passé si proche et qui
paraît si lointain, les naïves enfances. Convenons-en pourtant, avant ce fameux
mois de mai, nos années soixante furent encore bien timides, un peu futiles
aussi. Avec les années soixante-dix, ce fut la plongée dans une sorte
d’effervescence culturelle, les Barthes, les Foucault, la revue Tel Quel, j’en passe… Bien entendu la
politique marqua de son empreinte les divers moments de nos existences et
offrit de faciles repères grâce à nos grands rendez-vous électoraux, à
l’apothéose des Présidentielles. Giscard, élu de justesse en 1974, puis le
triomphe tant attendu par le petit peuple de gauche de son champion, victoire si surprenante après tant de
défaites, avance Annie Ernaux, que
même en voyant monter sur nos écrans de télé le visage de François Mitterrand,
on n’y croyait pas encore. Cependant, on l’a dit, les destins individuels
se confondent tant avec la vie sociale, ses mœurs et ses modes, qu’on ne
saurait les séparer. Le mérite d’Annie Ernaux est de nous montrer que le
collectif nous pénètre jusque dans l’intime, le plus profond de nous-mêmes.
Notre corps même n’échappe pas à cette intrusion du monde extérieur, cette
corruption, parfois. Ainsi, s’imposent à nous des troubles, des envies, des
frustrations, des humiliations et des dégoûts attisés par les règles et les
interdits, exacerbés par les sordides épanchements de la nature et la honte de
nos propres désirs. On pourrait, à propos de ce livre évoquer l’Éducation sentimentale de Flaubert,
voir dans cette œuvre un roman d’initiation, mais à condition de considérer que
la mort, seule, clôt ce long, et souvent douloureux, apprentissage de la vie.
Page à page
De Yoland Simon
Collection Essais
216 pages ISBN 979-10-92143-06-5
3er trimestre 2013
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire