vendredi 3 janvier 2014

Page à page de Yoland Simon



Les Éditions de l'Aiguille sont heureuses de vous annoncer la sortie, à la collection essais, du recueil  "Page à page" de Yoland Simon.




























































































Extrait Page à page

ANNIE ERNAUX
 Les Années

Annie Ernaux nous avait habitués à de brefs ouvrages, écrits sur l’os, au couteau, pour reprendre une image dont elle usa naguère. Les Années, son dernier livre, surprend à l’inverse par l’épaisseur d’un volume au service d’un ample projet. Il s’agit ici de reconstituer une vie qui traversa des événements autant qu’elle fut traversée par ceux-ci. Car nos existences sont aujourd’hui si parfaitement imbriquées dans les tribulations diverses du monde que l’on peine à démêler ce qui relève de notre histoire personnelle et ce qui nous vient de la Grande Histoire. Comme nous, l’héroïne du livre, dont l’auteur parle à la troisième personne, cherche sa voix et sa voie dans un univers bavard et compliqué. Cependant, les diverses périodes de cet itinéraire patiemment parcourues, dessinent des paysages contrastés et qui évoluent au fil du temps. C’est d’abord le monde de l’après-guerre, tout en privations mais aussi en petits bonheurs dorlotés, en quête d’un confort dont on se prend à rêver avec les réclames de Radio Luxembourg et les miraculeuses inventions des arts ménagers. Une époque encore très corsetée par des règlements, des principes, le regard des vieilles derrière leurs rideaux, eût dit Aznavour. Mais bientôt, on passe à l’adolescence avec son mélange de franchise et d’hypocrisie, de révoltes et de soumissions, d’affirmations de soi, de reniements d’un passé si proche et qui paraît si lointain, les naïves enfances. Convenons-en pourtant, avant ce fameux mois de mai, nos années soixante furent encore bien timides, un peu futiles aussi. Avec les années soixante-dix, ce fut la plongée dans une sorte d’effervescence culturelle, les Barthes, les Foucault, la revue Tel Quel, j’en passe… Bien entendu la politique marqua de son empreinte les divers moments de nos existences et offrit de faciles repères grâce à nos grands rendez-vous électoraux, à l’apothéose des Présidentielles. Giscard, élu de justesse en 1974, puis le triomphe tant attendu par le petit peuple de gauche de son champion, victoire si surprenante après tant de défaites, avance Annie Ernaux, que même en voyant monter sur nos écrans de télé le visage de François Mitterrand, on n’y croyait pas encore. Cependant, on l’a dit, les destins individuels se confondent tant avec la vie sociale, ses mœurs et ses modes, qu’on ne saurait les séparer. Le mérite d’Annie Ernaux est de nous montrer que le collectif nous pénètre jusque dans l’intime, le plus profond de nous-mêmes. Notre corps même n’échappe pas à cette intrusion du monde extérieur, cette corruption, parfois. Ainsi, s’imposent à nous des troubles, des envies, des frustrations, des humiliations et des dégoûts attisés par les règles et les interdits, exacerbés par les sordides épanchements de la nature et la honte de nos propres désirs. On pourrait, à propos de ce livre évoquer l’Éducation sentimentale de Flaubert, voir dans cette œuvre un roman d’initiation, mais à condition de considérer que la mort, seule, clôt ce long, et souvent douloureux, apprentissage de la vie.

Page à page
De Yoland Simon
Collection Essais
216 pages ISBN 979-10-92143-06-5
3er trimestre 2013